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12 REGARDS
woxx | 24 04 2015 | Nr 1316
INTERGLOBAL
LYBIE
Benghazi :
la guerre oubliée
Maryline Dumas
La seconde ville libyenne est en guerre depuis bientôt un an. Malgré les violences, la population tente de vivre normalement.
« Quand on a commencé la ré- volution en 2011, il y avait beaucoup de journalistes, ici, à Benghazi. Le monde entier nous regardait. Au- jourd’hui, personne ne s’intéresse à nous » : le constat d’Ahmed Ali il- lustre la pensée de nombreux Ben- ghaziotes. Depuis onze mois, leur ville est en guerre. Des combats qui ont fait plus de 1.600 morts, mais aus- si des milliers de déplacés.
Le 16 mai 2014, le général à la re- traite Khalifa Haftar a lancé l’opéra- tion « Karama » (Dignité) pour « net- toyer » la seconde ville du pays des « terroristes » - comprendre : isla- mistes. Ces derniers sont réunis au sein du « Conseil de Choura des ré- volutionnaires de Benghazi ». Celui- ci rassemble Ansar al-Charia, groupe considéré comme terroriste par les Nations unies et accusé de l’at- taque du consulat américain en sep- tembre 2012 qui avait provoqué la mort de quatre personnes dont l’am- bassadeur, des brigades islamistes et quelques membres de l’État isla- mique arrivés plus récemment. Le tout est soutenu par les forces de Fajr Libya (Aube de la Libye) qui soutient ces « héros révolutionnaires » face à l’ennemi commun, Khalifa Haftar. Ce dernier contrôle aujourd’hui 80 pour cent de la ville.
Ahmed Ali, lui, ne s’intéresse pas aux combats mais aux conséquences
sur la population. Dans l’école Bou- baker Arazi de Benghazi, il soutient, avec d’autres bénévoles de l’organi- sation « Benghazi est notre famille », des familles qui ont dû quitter leur domicile. Elles seraient au total plus de 27.000. L’école Boubaker Arazi a été ouverte, comme 60 autres établis- sements, en juin 2014 pour accueillir ces Benghaziotes forcés de quitter leur maison et n’ayant pas de proches capables de les héberger. Le bâtiment accueille aujourd’hui 25 familles.
27.000 familles déplacées
Khadija Mabrouk en fait partie. La vieille dame aveugle ne connaît pas son âge : « Je suis vieille, entre 60 et 70 ans, je pense. » Assise sur un ma- telas à même le sol dans la classe qui sert d’appartement à elle, son fils, sa belle-fille et leurs quatre enfants, elle raconte : « Nous avons quitté notre maison en septembre 2014. Nous avons tout perdu, les bijoux, l’argent, nos trois télés. Je n’ai même plus d’habits ! »
À l’autre bout du couloir, Ali Has- san Mohamed joue avec Salah, son bébé de quatre mois. Il ne sait pas ce qu’est devenue sa maison. Le père de famille n’a pas d’emploi et gagne difficilement sa vie depuis la révolu- tion de 2011. « Je n’ai plus rien, dit- il Je n’en dors pas la nuit. Je n’ai même pas pu acheter un médicament pour mon fils après sa circoncision. Il coûtait 11 dinars (7,4 euros). Je ne les avais pas. La cicatrice s’est infec- tée. » À côté de la vieille télévision,
l’eau chauffe sur le radiateur. « Il faut compter trois heures pour se faire un thé », se désole sa femme.
« Pas de solution pour ces familles »
Saïd Amaami, responsable de l’or- ganisation « Benghazi est notre fa- mille », qui s’occupe des réfugiés dé- taille : « 61 écoles sont aujourd’hui occupées par des familles à Benghazi. Nous n’avons aucune aide du gouver- nement. Ce sont les civils qui nous ai- dent en apportant des vêtements, de l’huile, de la nourriture... » Mais un autre problème apparaît avec le sem- blant de vie normale qui reprend dans les quartiers aujourd’hui sécu- risés de Benghazi : le gouvernement voudrait rouvrir les écoles pour que l’enseignement, arrêté en mai 2014, reprenne. Saïd Amaami s’agace : « Il n’y a pas d’autre solution pour ces fa- milles. Elles n’ont nulle part où aller. Benghazi est surpeuplée, il n’y a plus de bâtiments libres. »
Le problème se pose également pour le centre médical de Benghazi (CMB) qui héberge plus de 700 de ses employés étrangers. Le principal hô- pital de Benghazi est régulièrement la cible de roquettes, mais Elvira Ara- nez, une infirmière originaire des Phi- lippines, estime tout de même que sa famille y est en sécurité. « Nos trois enfants ne sortent plus. Ce n’est pas facile pour eux de vivre à l’hôpital, mais nous prenons les choses comme elles viennent », explique-t-elle alors que son mari prévoit de quitter le
pays avec leurs enfants lors d’un prochain rapatriement organisé par l’ambassade.
Parachuter des médicaments ?
Le Dr Salem Langhi fait office de président du CMB, autrefois fleuron de la médecine libyenne avec son université et ses recherches de pointe. Aujourd’hui, celui-ci fonctionne comme un hôpital d’urgence. « On a récupéré les patients de quatre hôpi- taux qui ont fermé. On vit sur le reste du budget de 2013 et les principaux entrepôts de médicaments ont brûlé dans les combats. Je comprends que l’ONU ne veut pas envoyer du per- sonnel pour des raisons de sécurité, mais pourquoi ils ne parachutent pas des médicaments ? On manque aussi d’au moins 600 lits pour les patients, c’est à peu près le nombre de lits oc- cupés par nos employés étrangers...», constate-t-il.
Les quartiers de Benghazi contrô- lés par l’« Armée nationale li- byenne », comme s’appellent les forces du général Khalifa Haftar, doi- vent effectivement faire face à la fois à un afflux de population et à un manque de bâtiments. Beaucoup d’immeubles publics ont été détruits pendant les combats.
Des détonateurs « faits maison »
« Les hommes d’Haftar ont détruit tous les bâtiments tenus par l’EI pour éviter qu’ils ne reviennent » explique