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8 REGARDS
woxx  |  24 04 2015  |  Nr 1316
KULTURPOLITIK
FOOD FOR YOUR SENSES
Manque de finesse
Luc Caregari
L’annulation du festival Food for Your Senses est non seulement triste, mais révèle aussi une
carence de sensibilité de la part du gouvernement et de l’administration envers le secteur culturel alternatif.
L’annonce la semaine dernière de l’annulation pure et simple de l’édi- tion 2015 du festival Food for Your Senses a fait l’effet d’une bombe. Pour la première fois, ce festival qui, pendant une bonne décennie, n’a fait que croître et a fini par s’établir comme un des événements incon- tournables des étés luxembourgeois tombe à l’eau - faute de site. Bon, on peut dire que ce n’est sûrement pas le premier festival auquel ça arrive, mais tout de même, le cas du Food for Your Senses présente quelques particularités qui font de lui un évé- nement bien différent des autres ré- jouissances estivales.
D’abord son statut alternatif, qui n’est pas uniquement une description de la musique qu’on peut y trouver, mais vraiment un état d’esprit tant des organisateurs que du public. Or- ganisé par une association sans but lucratif et basé sur le bénévolat, ce festival est tout sauf une machine à fric : il se retrouve donc à l’opposé de l’autre grand festival de l’été, le Rock-a-Field. Celui-ci, mis sur pied par l’Atelier et misant sur une pro-
grammation beaucoup plus commer- ciale, n’hésite pas à pratiquer des prix exorbitants pour tirer encore plus de fric des poches des festivaliers - la fameuse « frite à huit euros », men- tionnée au cours de la conférence de presse de vendredi dernier où les or- ganisateurs se sont expliqués sur l’an- nulation, est emblématique. Car le Food for Your Senses a toujours été et sera toujours un festival non basé sur la recherche de profits - tout au plus une affaire de rentrer dans ses frais. Et le fait que les organisateurs aient réussi chaque année à équilibrer leur budget, même après l’édition désas- treuse de 2013 où le mauvais temps avait presque noyé littéralement le festival dans la boue, prouve que ce « business model » peut fonctionner, et que le public n’est pas dupe. Il ap- précie de se retrouver dans une at- mosphère de confiance, où il sait per- tinemment que les organisateurs ne veulent pas l’arnaquer pour quelques euros de plus.
Contre la « frite à huit euros »
D’autant plus que la philosophie derrière le Food for Your Senses en- globe bien plus que les concerts. Vou- lant toucher tous les sens des festi- valiers, les organisateurs ont mis sur pied en marge du festival des séances de lecture, des workshops, des stands
politiques, une aire de jeux et même une exposition qui met en avant de jeunes artistes locaux. Ce qui en fait un festival unique en son genre, ap- précié du public comme des artistes et sponsors.
Et cela alors que les débuts du festival, il y a une dizaine d’années, n’étaient ni plus ni moins promet- teurs que d’autres événements rock locaux, qui sortent de terre comme des champignons chaque année. D’abord localisé dans l’école primaire de Tuntange et organisé par le club lo- cal des jeunes, le « Rock de Stéier » - comme il s’appelait à l’époque - ne se différenciait pas vraiment d’autres événements semblables. « C’était une période d’une certaine insouciance », se rappelle Luka Heindrichs, l’ac- tuel président de l’asbl Food for Your Senses, qui fait partie de la clique organisatrice des débuts – de retour après quelques années d’absence pour études. « Le backstage était lo- calisé dans la salle de classe du prés- colaire et les groupes se préparaient à entrer sur scène sous des dessins d’enfants. »
Mais le jeu d’enfant a vite fait place à du plus sérieux. Avec les an- nées, le festival sort des salles de classe pour d’abord se dérouler sur un terrain à Tuntange. Plus ou moins à la même époque, il reçoit sa dé- nomination actuelle et l’asbl est fon-
dée - vu que les dimensions étaient décidément trop importantes pour qu’un club des jeunes seul puisse y parvenir. Des dimensions accrues qui ne concernaient pas uniquement les groupes invités à jouer, qui deve- naient d’année en année plus inter- nationaux, mais aussi le site - l’éter- nel dilemme des organisateurs.
La solution de s’installer à Bissen était temporaire, c’était connu dès le départ. Un projet de construction dans la zone industrielle, où le festi- val était organisé les deux dernières années, rendait impossible la pé- rennisation de ce site, somme toute idéal, non seulement par ses dimen- sions mais aussi par sa localisation plus ou moins exactement au centre du grand-duché. La recherche d’un nouveau site était donc une priorité absolue pour les organisateurs, et elle a été entamée dès que la dernière tente à Bissen a été démontée.
Et c’est là qu’a commencé le che- min de croix des organisateurs, les menant à l’abandon de l’édition 2015. « Ce n’est pas la première fois qu’on a été tentés de baisser les bras. L’édi- tion de 2013 nous avait causé pas mal de stress. C’était un vrai cauchemar, surtout lorsqu’il s’est agi de rendre le site après le festival. Je me rappelle qu’un tracteur qui devait sortir une des scènes du site s’était embourbé : il nous a fallu contacter tous les agri-


































































































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